jeudi 11 septembre 2014

En vert et contre tout


Quand on habite à Nice, supporter Saint-Etienne peut s’apparenter à du masochisme. Mais si certains ont une capacité étonnante d’adaptation et peuvent changer d’équipe selon la situation, il m’est impossible d’aller contre mon amour viscéral pour ce club. Et tant mieux. Dur d’imaginer ce que peut ressentir devant un match celui qui a passé les années 2000 avec un maillot lyonnais sur les épaules, pour finalement opter il y a un an pour une tunique bleu et grenat floquée Ibrahimovic. Celui qui a « toujours aimé Chelsea » mais « adore l’ambiance de fou » à Dortmund, tout en associant fièrement son maillot de Barcelone à son short du Real.
Au début, Sainté ce n’est qu’un nom que ma mère répète dès qu’il s’agit de football. Mon père ne s’est jamais intéressé au foot, et j’étais parti pour le suivre tranquillement dans mon enfance. En 1998, quand toute la France scande le nom de Zizou, je réponds que « le meilleur c’est Petit ». Je ne connais rien au ballon, à part le nom des deux buteurs de cette finale face au Brésil, mais je n’ai aucune envie de suivre la masse. Mais dès que le sujet est abordé à la maison, c’est toujours les mêmes noms. Herbin, Revelli, Janvion, Piazza et Rocheteau. En octobre 2005, de passage dans le 42, ma mère me propose d’aller à Geoffroy Guichard voir un match contre l’OM. Au moment de réserver, le stade est déjà à guichets fermés. Tant pis pour l’expérience. En y repensant, j’ai envie de me poignarder le ventre d’avoir raté ça. L’été suivant, je découvre vraiment le football avec la Coupe du monde 2006. Devant les matchs de l’équipe de France, je ne me doute pas que je suis déjà foutu.



           L'auteur du texte, Aliosha Denape

Une fois la compétition terminée, deux conclusions s’imposent. Je hais tout ce qui est italien sur un terrain, et j’ai besoin de ma dose de foot. Comme le mois d’août est évidemment calme, je me rabats sur la biographie de Rocheteau « On m’appelait l’ange vert ». Avec le livre est fourni l’intégral en dvd du match retour « Asse-Kiev » de 1976. Au fil des mois, je parcours internet à la recherche d’images de cette époque, et lorsque la ligue 1 reprend, je suis chaque journée à la radio avec un intérêt forcément particulier pour les résultats des Verts. A la fin de la saison 2006/2007, le virus s’est définitivement installé en moi. Rage, douleur, angoisse et extase.
La saison suivante, lorsque Sainté se déplace à Nice, je suis dans les tribunes. Pour un baptême, on ne pouvait pas faire pire. Un doublé de Koné de la tête (oui de la tête !), Janot qui offre un but et une défaite 3-0. Le tout dans un stade en délire où je suis contraint de modérer le flot d’insultes qui veut sortir de ma bouche. Malgré un double arrêt de Spiderman sur penalty, la fessée est violente. Pourtant à la fin du match je n’ai qu’une envie, y retourner. L’éclairage brumeux qui rend la pelouse presque émeraude dans la nuit, les cris des joueurs, les trajectoires du ballon, la tension permanente qui me fait trembler comme un malade de parkinson, tout ce qu’on ne voit pas derrière un écran et qui donne un aspect si particulier au moment.
Après un début de championnat très moyen, St-Etienne se réveille à la 25ème journée et enchaine les victoires pour accrocher l’Europe. L’équipe donne le sentiment que tout est facile et régale ses supporters. Dans la foulée, Gomis est appelé en équipe de France et claque un doublé, frappe en lucarne et reprise acrobatique, pour son premier match. La déception est donc un concept assez flou à l’époque, et je n’ai aucun doute sur le fait que l’Asse retrouve le rang qu’elle mérite. La saison suivante va donc être l’occasion de prendre quelques bonnes claques dans la gueule.
Tout commence bien pourtant, puisque je monte à Geoffroy Guichard pour le premier match de la saison. Impossible de décrire l’émotion devant ce p***** de stade. Les drapeaux, les maillots, du vert partout aux alentours. L’escalier en béton qui te coupe de la ferveur ambiante. La bourrasque d’air une fois que tu débouches sur la pelouse. Les magics et les greens qui se chauffent tranquillement la voix. Les vieux tubes à la con qui passent pendant l’échauffement. Et les choses sérieuses quand tout le stade reprend la compo des équipes et que les joueurs rentrent sur l’air de Monty. Avec un petit Tifos pour les 75 ans du club en prime. Vingt minutes de jeu plus tard, déjà 2-0 et des kops qui gueulent tout ce qu’ils ont depuis le coup d’envoi. On a beau le savoir, tu ne comprends que lorsque tu es sur place ce que ce public représente. A l’époque, une publicité de la marque Orange trônait à côté du stade. Un panneau noir avec une seule phrase : « Bienvenue dans le chaudron ». Je l’avais remarqué la veille du match, alors que le stade était vide et silencieux. Un énorme bloc avec ses grilles de métal, ses tribunes massives, quelques feuilles mortes qui glissaient sur le parvis et cette phrase. Pas besoin de plus pour poser l’ambiance.

Quelques semaines plus tard, Feindouno quitte le club. Pour la première fois, je vis le départ d’un élément majeur. « Les joueurs passent, le club reste » comme on dit. Et c’est que le début des emmerdes. La suite, c’est deux ans à jouer le maintien, à te demander comment Lorient a pu t’en mettre quatre à domicile alors que tu vas en coller trois à l’Olympiakos, invaincu depuis 40 matchs. A bâcher tes joueurs, ton entraineur et l’arbitre. A compter combien de points il te manque pour arriver à 42. A hurler de soulagement pour une vieille victoire contre Le Havre. A te demander qu'est-ce que ça fait d'aller jouer à Liverpool. A croire que Sanogo est le nouveau  Drogba. A militer pour voir Matuidi en équipe de France. A voir ton meilleur buteur, formé au club, partir chez l’ennemi du jour au lendemain. A suivre des matchs à domicile contre Caen sur des streams portugais qui plantent en permanence. A te demander si tu vivras assez vieux pour voir Sainté battre Lyon. A faire 7 heures de routes pour aller au stade voir Valenciennes t’humilier. A insulter Aulas. A expliquer à tes collègues niçois qu’ils vont prendre cher à GG. A sortir ton écharpe verte tous les lundis de victoire (elle n’est donc pas beaucoup sortie la pauvre). Pendant deux saisons, c’est quasiment une désillusion chaque week-end, mais la frustration renforce la passion. Quand ton équipe enchaine les performances en jouant comme le Brésil, pas besoin de la défendre. Quand elle fait rimer pathétique avec footballistique, il vaut mieux bien préparer ses arguments et savoir oublier la bonne foi. C’est aussi le seul moyen de savoir si l’attachement au club est vraiment profond. Et quoi qu’il se passe, supporter Sainté reste une fierté permanente.
Puis, peu à peu, le club s’est relevé. Première victoire à Lyon depuis 1992 dans le 100ème derby, victoire en Coupe de la ligue, accès aux phases de poules en Ligue Europa. Que des émotions qu’il est difficile de décrire mais qui ne sont finalement pas si différentes. Gagner à Lyon a la même saveur qu’un titre en Coupe de la ligue sur le moment. La différence, c’est à froid qu’on peut la faire. Concernant la sensation d’une victoire en Ligue des champions, je ne m’avance pas pour le moment. Je vous raconterai ça dans quelques années.

Vous pouvez suivre Aliosha Denape sur twitter @AlioshaDenape

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